Avis n°482
Eolien français : point de vue d'un expert à Bruxelles
le ,Dans le débat passionné autour de l'éolien, est-il encore permis d'avancer des arguments raisonnables et étayés ?
Premièrement, on note que les industriels et les autorités régionales ne se préoccupent en rien de la lutte contre le réchauffement climatique, ni de celle contre les émissions de gaz à effet de serre auxquels leur déclaration conjointe du 12 juin 2018 à Cherbourg ne fait aucune référence. Cet objectif de la France est cependant prioritaire sur tous autres objectifs.
Au contraire, le seul souci exprimé par la déclaration du 12 juin 2018 est celui de la réalisation au plus tôt et sans autre examen, respectivement, des projets industriels d'éolien en mer et des aménagements publics les accompagnant, le tout financé entièrement par des fonds publics.
Or le lien entre les énergies renouvelables aléatoires ou intermittentes (comme l'éolien et le solaire) et la lutte contre le réchauffement climatique est postulé, mais n'a toujours pas été démontré en pratique – 17 ans après le soutien public à la production éolienne.
D'une part, il manque toujours une définition de ce qu'est une énergie renouvelable. D'autre part, la priorité ostentatoire à l'éolien et au photovoltaïque (investissements qui rapportent à l'industrie mais coûtent aux consommateurs) par opposition aux énergies non intermittentes telles l'hydroélectricité, la méthanisation ou la géothermie, ne s'explique pas ou s'explique alors seulement par la captation de la décision politique par les lobbys industriels de l'éolien et du photovoltaïque.
Plus encore, l'évaluation de la stratégie nationale bas-carbone rendue publique par le gouvernement début 2018 (https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/strategie-nationale-bas-carbone...) montre que dans le secteur de l'énergie, les émissions de gaz à effet de serre augmentent depuis 2013, et que cette tendance ne va pas s'inverser dans les années à venir.
D'où vient cette reprise des émissions de C02 dans le secteur de l'énergie ? Sans doute de l'augmentation rapide des investissements éoliens et photovoltaïques dont le caractère aléatoire (production inférieure à 30% de leur capacité) oblige à recourir en complément à des sources de production d'électricité carbonées, en France comme en Europe.
Dans ces conditions, continuer à accroître la capacité de production éolienne déjà excessive parait contre-indiqué, puisque la contribution à la lutte contre le changement climatique n'est pas démontrée. Dit autrement, il est urgent de comprendre cette contradiction des données avant de doubler ou tripler la capacité de production électrique éolienne.
Cette conclusion relève du bon sens et devrait s'imposer d'elle-même.
Pourtant et deuxièmement, la déclaration des industriels et des collectivités locales du 12 juin 2018 indique au contraire qu'il n'en n'est rien. Selon cette déclaration, il convient de persévérer dans l'erreur « en doublant la mise ».
Au contraire, il est nécessaire de conduire une ré-évaluation de la politique actuelle de soutien public à la production électrique d'origine renouvelable.
C'est également le constat de la Cour des comptes (https://www.ccomptes.fr/fr/publications/le-soutien-aux-energies-renouvel...) soulignant que les décisions passées en matière de soutien à l'éolien et au photovoltaïque engagent déjà la France pour des années et des dizaines de milliards d'euros. C'est aussi la conclusion des scientifiques dans le domaine de l'énergie (http://www.creden.fr/downloads/cahiers/CC-16-07-115.pdf) estimant le coût effectif de l'intermittence de l'éolien et du photovoltaïque à plus de deux fois le coût du soutien à la production éolienne et photovoltaïque.
Le débat public national en cours sur la programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE) doit porter cette question essentielle et en faire une des priorités de la nouvelle programmation de l'énergie. Ce débat public qui a été d'excellente qualité ne saurait se clore sans que cette question, parmi d'autres soulevées dans le débat mais non résolues, n'ait fait l'objet d'une vision partagée susceptible d'être retenue dans la rédaction finale de la PPE.
Troisièmement, la déclaration du 12 juin 2018 met en évidence le rôle des Régions.
Les Régions, et au sens large les collectivités locales, doivent prendre leurs responsabilités dans l'identification et la mise en œuvre de la meilleure stratégie énergétique sur chacun de leurs territoires, adaptée à leurs caractéristiques (environnementales notamment) et au développement de leur attractivité.
On ne peut que se désoler de voir de nombreuses Régions reprendre sans toujours sembler les comprendre, des objectifs nationaux, notamment quantitatifs, dans le domaine de l'énergie, dont certains sont manifestement erronés voire aberrants, comme le montre la juste révision en cours des six projets d'éolien en mer.
Les Régions doivent comprendre que leurs citoyens sont aussi les consommateurs d'électricité supportant la charge de tout soutien public à la production d'électricité, et agir en conséquence.
Les Régions peuvent notamment aller dans la bonne direction en soutenant des programmes ou projets locaux ayant au moins deux caractéristiques cumulatives : d'une part une participation économique locale, d'autre part un retour financier direct pour les résidents. Deux exemples viennent immédiatement à l'esprit: la géothermie individuelle ou collective et l'hydroélectricité au fil de l'eau. Mais il existe de nombreuses autres possibilités qui permettent de concilier réduction des émissions à effets de serre, diminution de la consommation, et motivation des habitants.
Cette étape de la transition énergétique ne peut être réalisée que par les collectivités locales et leurs habitants, et sur la base de projets adaptés à chaque contexte.
Morvan Le Berre
Avocat au barreau de Bruxelles
(L'auteur s'exprime à titre personnel)