Avis n°539
La fin des combustibles fossiles va hâter le transiton énergétique
le ,Du fait de leur poids considérable dans le fonctionnement des sociétés industrielles et de leur potentiel de modification du climat, les évolutions à venir des productions de combustibles fossiles (pétrole, qaz naturel, charbon), donneront, par nécessité, le temps de la transition énergétique. Car la transition énergétique, ce sera aller d’une société vivant des combustibles fossiles à une société obligée de s’en passer.
Or les contraintes géologiques de l’extraction des combustibles fossiles, nous disent les géologues , sont maintenant devenues telles que la quantité d’énergie primaire que les combustibles fossiles mettront chaque année à la disposition de la société mondiale, toutes sources étant cumulées, pourrait décliner à partir de 2025-2030. Compte-tenu de l’augmentation encore rapide de la population mondiale, ce déclin serait encore plus fort par habitant de la planète.
Les échéances
Le pétrole
S’agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui connaîtrait le premier son déclin, les volumes de pétrole dit tous liquides ((addition du pétrole conventionnel, des pétroles non-conventionnels (pétrole dit de schistes, et pétroles extralourds)), des liquides extraits du gaz naturel et des pétroles synthétiques) qui seraient récupérables chaque année dans le monde déclineraient à partir de 2020, peut-être 2025, malgré le développement rapide du pétrole de schistes après 2010. Le volume extrait de pétrole conventionnel, qui représente les trois-quarts des volumes de pétrole tous liquides, est déjà en déclin depuis 20061. Et la quantité d’énergie fournie chaque année par ce pétrole tous liquides à la société mondiale est en stagnation depuis 2011, car l’énergie volumique du baril de pétrole a sensiblement diminué ces dernières années, ainsi que les taux de retour énergétique de l’exploration et de l’extraction du pétrole. En quantité d’énergie disponible par habitant de la planète, le déclin est déjà en cours, compte-tenu de l’augmentation encore rapide de la population mondiale.
Ajoutons que les volumes de pétrole mis sur le marché mondial, actuellement à peu près la moitié du volume total produit, tendent déjà à diminuer du fait de la consommation intérieure croissante des pays exportateurs. A moins que ces derniers ne décident très rapidement des efforts considérables d’économie et/ou d’utilisation de substituts (par exemple nucléaire à la place de fuel pour leur production d’électricité, comme l’a fait la France après les chocs pétroliers de 1973 et 1979), cette tendance va s’accentuer ! Notons aussi que les pétroles non-conventionnels et les pétroles synthétiques ne représentent que peu de chose dans le commerce mondial, et que le pétrole conventionnel et les liquides de gaz naturel représentent donc l’essentiel des imports-exports. Les quantités de pétrole disponibles sur le marché mondial déclineront donc encore plus tôt que les productions. Cela menace particulièrement les pays, qui comme la France et la grande majorité des pays européens, n’ont pas de ressources pétrolières significatives sur leur sol.
Il y a quelques années l’alerte a été lancée en France via un grand journal national2. Elle ne semble pas encore avoir atteint nos gouvernants.
Le gaz naturel
Le gaz naturel a pour l’essentiel la même origine que le pétrole et sa production connaît les mêmes contraintes géologiques. Exploité en masse un peu plus tard que le pétrole, il connaîtrait son pic un peu plus tard que lui, 2030 ou peu après, cela malgré le développement du gaz de schistes. Le charbon Le charbon est celui dont l’évolution des productions est la plus difficile à analyser. La date du pic mondial n’est pas aussi bien cernée que pour le pétrole et le gaz. Il s’agirait de 2030-2035 semble-t-il3. Mais cela pourrait être avant. En effet le pic de production de la Chine, qui produit actuellement environ la moitié de la production mondiale, semble très proche 4.
Les contraintes autres que géologiques
Les contraintes géologiques ne sont pas les seules à gouverner les productions. Il y a aussi les contraintes économiques et politiques: des prix trop élevés provoquant un déclin de la demande, des crises économiques ou politiques, réduisent les productions annuelles par rapport aux possibilités permises par la géologie. Les pics de production sont alors retardés et leur hauteur est moindre, mais les quantités extraites chaque année sont alors plus faibles qu’en l’absence de ces crises. Les quantités produites au total n’en sont pas pour autant plus grandes. Un exemple est celui des chocs pétroliers de 1973 et 1979, qui ont eu pour effet de retarder la venue du pic pétrolier mondial d’au moins 10 ans, mais aussi de réduire le rythme de croissance de la production pétrolière et de ce fait celui de la croissance mondiale.
Il y a aussi les contraintes climatiques. Les combustibles fossiles sont on le sait les principaux émetteurs de CO2 anthropique, et leur usage est donc le principal facteur de déstabilisation du climat. Les climatologues essaient pour cette raison de persuader la société mondiale, sans beaucoup de succès jusqu’à présent, de diminuer sa consommation de combustibles fossiles, en particulier de charbon, le plus émetteur par unité d’énergie produite.
Et Il y a les contraintes sanitaires : là-aussi le charbon est très préoccupant, car c’est lui qui émet aussi le plus de polluants atmosphériques susceptibles de nuire à la santé humaine. On parle là d’un ordre de grandeur de 2 millions de morts prématurées par an, surtout dans les pays grands consommateurs d’Asie, mais l’Europe, avec de l’ordre de 30 000 morts prématurées par an, dont environ 10 000 du seul fait des émissions allemandes, n’est pas à l’abri5 ! Ce danger pourrait être considérablement réduit s’il y avait à ce sujet une véritable prise de conscience induisant des mesures de protection bien plus efficaces que les actuelles. La focalisation extrême des médias sur l’effet de serre, les énergies renouvelables et le nucléaire ne la favorise pas pour l’instant. Un grave malentendu a ainsi été créé dans l’opinion publique, qui n’entend parler que des risques créés par les émissions de gaz à effet de serre, qui ne tuent pas directement, et de ceux du nucléaire, qui au bilan a en fait tué fort peu, mais guère des risques créés par l’utilisation du charbon, qui lui a déjà tué énormément et continue à le faire, même en Europe. Même les rapports alarmants de Greenpeace (Greenpeace 20136) et plus récemment d’un groupe d’ONG (WWF et al., 20167) n’ont guère eu d’échos dans les médias, qui d’habitude font toujours une large place à ces associations ! Cependant depuis quelques années, le risque qu’entraîne la pollution par les particules fines commence cependant à être évoqué de plus en plus souvent.
Etant donné l’étroite relation qui existe actuellement entre la disponibilité des combustibles fossiles et la marche de l’économie mondiale, et quand on se souvient des dégâts provoqués sur celle-ci par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les conséquences qu’aurait un déclin rapide, irréversible et si rapproché dans le temps, des quantités d’énergie que nous pouvons tirer de l’ensemble des combustibles fossiles sont potentiellement catastrophiques. Elles ne peuvent être aménagées, étant donné la grande inertie des systèmes industriels, que si des contre-mesures très fortes sont prises dès maintenant. Notons aussi que la hiérarchie des nations industrielles en serait rapidement changée, celles ayant encore des réserves importantes de combustibles fossiles pouvant faire face plus longtemps que celles n’en ayant pas ou plus.
Les énergies de substitution
Les électricités éolienne et photovoltaïque, sur laquelle beaucoup comptent pour assurer la transition énergétique, même si elles progressent rapidement en ce moment, ne pourront à l’évidence jouer qu’un rôle secondaire face à des échéances aussi proches, car il leur faudrait des taux de croissance véritablement fantastiques pour cela. En effet, selon l’Agence Internationale de l’Energie, leur contribution n’était encore en 2015 que de quelque 2 % de l’approvisionnement mondial en énergies primaires, contre environ 82% pour les combustibles fossiles. Pour l’Europe ex-28, il s’agissait d’environ 3 % et 72 %. Pour la France, il s’agissait d’environ 1,5 % et 46 %, la contribution relativement faible des combustibles fossiles étant due dans son cas à l’importance du nucléaire. Les chances que l’éolien et le solaire puissent compenser le déclin des combustibles fossiles aux échéances indiquées paraissent donc bien minces. Quant au nucléaire, sa contribution à l’approvisionnement mondial en énergie primaire était en 2015 selon l’AIE de 4,9 % pour le monde, 14,9 % pour l’Europe ex-28 et de 45,2 % pour la France. Le nucléaire a donc également peu de chances de pouvoir compenser ce déclin à ces échéances, sauf en ce qui concerne la France.
Ces analyses ne procèdent bien sûr pas d’une science exacte : des incertitudes et des désaccords existent encore sur les estimations des réserves restantes de combustibles fossiles, et sur celles de leurs vitesses de production futures. On peut toujours espérer un miracle des découvertes inattendues de gisements de type encore inconnu, ou des révolutions technologiques. Et il faut sans aucun doute perfectionner les analyses et les modèles avec lesquels on cherche à prédire les productions possibles dans le futur, mais aussi créer les modèles économiques permettant de relier les quantités d’énergie (et non seulement la valeur marchande) ainsi produites à la marche de l‘économie. Il est d’ailleurs très étonnant, étant donné l’importance majeure du sujet pour l’équilibre mondial, que si peu de moyens y soient pour l’instant consacrés par les économistes.
Mais il faut raisonner en probabilité : celle d’un début du déclin de l’offre possible totale à l’échelle mondiale de l’énergie primaire fournie par les combustibles fossiles en 2025-2030 est forte, tout comme l’est celle d‘un accroissement de sa demande sous l’effet de la poussée démographique et de l’aspiration de populations très nombreuses à plus de bien-être. Cela laisse présager bien des turbulences dans l’économie et la société mondiales et peut-être même une crise de civilisation dans les pays industrialisés, tant est grande l’importance des combustibles fossiles dans leur structure et leur fonctionnement.
La politique énergétique affichée actuellement par l’Europe est surréaliste au vu des considérations précédentes.
S’agissant de l’Europe, elle est particulièrement menacée par cette évolution : Pour tous les combustibles fossiles, les pics de production y sont déjà largement passés, en 1982 pour le charbon, 2000 pour le pétrole et 2004 pour le gaz. Seul un pays, la Norvège, a encore un peu d’avenir pétrolier et gazier, et deux pays encore un peu d’avenir charbonnier, l’Allemagne pour le lignite et la Pologne pour le «hard coal». L’Europe devra donc de plus en plus compter sur le marché mondial, déjà en voie de rétrécissement comme on l’a vu pour le pétrole. Elle s’y trouvera en compétition de plus en plus vive avec des pays très peuplés de plus en plus consommateurs, pour cause principalement de développement rapide de l’automobile, comme la Chine et l’Inde.
La politique énergétique la plus sage que l’Europe puisse suivre est donc d’anticiper le déclin des combustibles fossiles, et en tout premier lieu celui du pétrole, en accompagnant ce déclin plutôt que d’avoir à le subir passivement. La toute première priorité de cette politique devrait donc être de chercher les moyens de s’adapter à une diminution progressive, mais forcée et durable, de notre approvisionnement en pétrole à échéance de peu d’années.
La logique de cette politique voudrait alors que l’on mette le maximum de moyens pour réduire rapidement les consommations dans les deux secteurs de très loin les plus consommateurs, l’habitat et les transports. Or ce n’est pas du tout ce qu’on observe : les moyens les plus importants sont mis sur la production d’électricité, pour laquelle on n’utilise pratiquement plus de pétrole depuis longtemps en Europe, et plus particulièrement sur le développement des électricités éolienne et solaire photovoltaïque, qui sont intermittentes, donc inutilisables sans le soutien de centrales pilotables. Cela faute de moyens de stockage de l’électricité suffisamment importants, pour sans doute très longtemps. Or ces centrales pilotables sont principalement en Europe des centrales à combustibles fossiles, charbon et gaz !
La politique énergétique affichée par la France est la plus surréaliste de toutes. Elle est même masochiste : la principale direction affichée est la fermeture progressive des centrales nucléaires au profit de l’éolien et du solaire photovoltaïque, imitant en cela l’Allemagne, pour laquelle cette politique n’a conduit qu’à faire augmenter le prix de l’électricité sans faire décroître le moins du monde sa consommation de combustibles fossiles et en particulier de pétrole. C’est pourtant l’importance de ce nucléaire qui lui a permis de décarboner presque complètement son électricité et ce faisant lui a permis de réduire sa consommation de combustibles fossiles et ses émissions de gaz carbonique à un niveau qui est de loin le plus faible de tous les grands pays industrialisés ! Or la fermeture des centrales nucléaires mènera en France pour l’essentiel à leur remplacement non pas par de l’éolien et du solaire photovoltaïque, mais par des centrales pilotables à gaz, ou à charbon, moins cher, comme c’est le cas maintenant au Japon.
Il est urgent pour la France de se ressaisir, et d’exploiter le mieux possible, au lieu comme actuellement de le détruire, le meilleur atout qu’elle possède dans une transition énergétique qui sera forcément contrainte par la disponibilité des combustibles fossiles, son nucléaire. Ce nucléaire y remplace déjà très largement le charbon et le gaz dans la production d’électricité. Il peut aussi, entre autres, remplacer largement le pétrole dans ses utilisations principales : le transport, par le développement de la mobilité électrique et la production d’hydrogène servant à la production de biocarburants, le chauffage, par le chauffage électrique, mais aussi par le développement des pompes à chaleur dans un habitat mieux isolé, et de la cogénération électricité nucléaire-chaleur. Et cette politique sera aussi la plus efficace pour faire décroître rapidement nos émissions de CO2, suivant les vœux des climatologues.
Références
1 Durand, B., 2018. Petroleum, natural gas and coal: nature, formation mechanisms, future prospects in the energy transition . A paraître, EDP Sciences, 2018.
2 Mobiliser la société face au pic pétrolier, Le Monde du 22 Mars 2012 http://tribune-pic-petrolier.org/
3 Heinberg, R. and Fridley, D., 2010 : The End of Cheap Coal. Nature 468, 367-369
4 Fridley, D. et al., 2012 . Review of China’s Low-Carbon City Initiative and Developments in the Coal Industry . Ernest Orlando Lawrence Berkeley National Laboratory.
5 Durand, B., 2014 . Les risques de la pollution atmosphérique pour la mortalité prématurée. Comparaison avec ceux du tabac et ceux de la radioactivité. http://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/etudes/pollutio...
6 Greenpeace, 2013: Silent Killers : WHY EUROPE MUST REPLACE COAL POWER WITH GREEN ENERGY.
https://www.greenpeace.org/archive-international/en/publications/Campaig...
7 WWF, Alliance pour la santé et l’environnement (HEAL), Réseau action climat Europe (CAN Europe) et Sandbag, 2016 : Europe’s Dark Cloud : How coal-burning countries make their neighbours sick.