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Avis n°431

Nucléaire, il faut presser le pas !

Ajouté par Bernard ANONYMISé (Arvert), le
[Origine : Site internet]

La transition énergétique, c'est en fait le passage d'une société vivant des combustibles fossiles à une société ayant appris à s'en passer. N'en déplaise au MO et à l'Agence Internationale de l'Energie, selon les géologues spécialisés les contraintes géologiques sur la production des combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) sont devenues telles que la quantité d'énergie que les combustibles fossiles mettent chaque année à la disposition de l'humanité, toutes sources étant cumulées, pourrait décliner à partir de 2025-2030 1. Compte-tenu de l'augmentation encore rapide de la population mondiale, ce déclin serait encore plus fort par habitant de la planète.

Les échéances

Le pétrole

S'agissant du pétrole, celui des combustibles fossiles qui connaîtrait le premier son déclin, les quantités de pétrole dit tous liquides (addition du pétrole conventionnel, du pétrole dit de schistes, des pétroles extra-lourds, des liquides extraits du gaz naturel et des pétroles synthétiques) produites dans le monde augmenteraient encore en volume (mais pas en énergie disponible pour la société mondiale, car l'énergie volumique du baril de pétrole a diminué sensiblement ces dernières années) à un rythme lent jusque vers 2020, peut-être 2025, cela malgré le développement rapide du pétrole de schistes depuis 2010. Le pétrole conventionnel, qui représente les trois-quarts des quantités de pétrole tous liquides, est déjà en déclin depuis 2006. Ajoutons que les volumes de pétrole mis sur le marché mondial, actuellement à peu près la moitié de la production totale, tendent déjà à diminuer du fait de la consommation intérieure croissante des pays exportateurs. A moins que ces derniers ne décident très rapidement des efforts considérables d'économie et/ou d'utilisation de substituts (par exemple nucléaire à la place de fuel pour leur production d'électricité, comme l'a fait la France après les chocs pétroliers de 1973 et 1979), cette tendance va s'accentuer ! Notons aussi que les pétroles non-conventionnels ne représentent que peu de chose dans le commerce mondial, et que le pétrole conventionnel, en déclin, représente donc l'essentiel des imports-exports. Il Il y a quelques années l'alerte a été donnée en France via un grand journal national 2. Elle ne semble pas encore avoir atteint nos gouvernants. Le gaz naturel Le gaz naturel a pour l'essentiel la même origine que le pétrole et sa production connaît les mêmes contraintes géologiques. Exploité en masse un peu plus tard que le pétrole, il connaîtrait son pic une dizaine d'années plus tard que lui, autour de 2030-2035, cela malgré le développement du gaz de schistes. Le charbon Le charbon est celui dont l'évolution des productions est la plus difficile à analyser. La date du pic mondial n'est pas aussi bien cernée que pour le pétrole et le gaz. Il s'agirait de 2030-2035 semble-t-il 3. Mais cela pourrait être bien avant. En effet le pic de production de la Chine, qui produit actuellement environ la moitié de la production mondiale, semble très proche 4.

Les contraintes autres que géologiques

Les contraintes géologiques ne sont bien sûr pas les seules à gouverner les productions. Il y a aussi les contraintes économiques et politiques : des prix trop élevés peuvent provoquer une crise de la demande et des crises économiques ou politiques peuvent réduire les productions annuelles par rapport aux possibilités permises par la géologie. Les pics de production seront alors retardés et leur hauteur sera moindre, mais les quantités produites chaque année seront alors plus faibles qu'en l'absence de ces crises. Les quantités produites au total n'en seront pas pour autant plus grandes. Un exemple est celui des chocs pétroliers de 1973 et 1979, qui ont eu probablement pour effet de retarder la venue du pic pétrolier mondial d'au moins 10 ans.
Etant donné l'étroite relation qui existe entre la disponibilité des combustibles fossiles et la marche de l'économie mondiale, et quand on se souvient des dégâts provoqués sur celle-ci par les chocs pétroliers de 1973 et 1979, les conséquences qu'aurait un déclin rapide, irréversible et si rapproché dans le temps, des quantités d'énergie que nous pouvons tirer de l'ensemble des combustibles fossiles sont potentiellement catastrophiques. Elles ne peuvent être aménagées, étant donné la grande inertie des systèmes industriels, que si des contre-mesures très fortes sont prises dès maintenant. Notons aussi que la hiérarchie des nations industrielles en serait rapidement changée, celles ayant encore des réserves importantes de combustibles fossiles pouvant faire face plus longtemps que celles n'en ayant pas ou plus. Les énergies de substitution L'éolien et le solaire, sur lesquels beaucoup semblent compter pour assurer la transition énergétique, même s'ils progressent rapidement en ce moment, ne pourront à l'évidence jouer qu'un rôle secondaire dans cette transition, car il leur faudrait des taux de croissance véritablement fantastiques pour cela. En effet, selon l'Agence Internationale de l'Energie, leur contribution n'était encore en 2015 que de quelque 2 % de l'approvisionnement mondial en énergies primaires, contre environ 82% pour les combustibles fossiles. Pour l'Europe ex 28, il s'agissait d'environ 3 % et 72 %. Pour la France, il s'agissait d'environ 1,5 % et 46 %, la contribution relativement faible des combustibles fossiles étant due dans son cas à l'importance du nucléaire. Les chances que l'éolien et le solaire puissent compenser le déclin des combustibles fossiles aux échéances indiquées paraissent donc bien minces. Quant au nucléaire, sa contribution à l'approvisionnement mondial en énergie primaire était en 2015 selon l'AIE de 4,9 % pour le monde, 14,9 % pour l'Europe ex-28 et de 45,2 % pour la France. Le nucléaire a donc également peu de chances de pouvoir compenser ce déclin à ces échéances, sauf en ce qui concerne la France.
Ces analyses ne procèdent bien sûr pas d'une science exacte : des incertitudes et des désaccords existent encore sur les estimations des réserves restantes de combustibles fossiles, et sur celles de leurs vitesses de production futures. On peut toujours espérer un miracle des découvertes inattendues de gisements de type encore inconnu, ou des révolutions technologiques. Et il faut sans aucun doute perfectionner les analyses et les modèles avec lesquels on cherche à prédire les productions possibles dans le futur, mais aussi créer les modèles économiques permettant de relier ces productions à la marche de l'économie. Il est d'ailleurs très étonnant, étant donné l'importance majeure du sujet pour l'équilibre mondial, que si peu de moyens y soient pour l'instant consacrés par les économistes.
Mais il faut raisonner en probabilité : celle d'un début du déclin de l'offre possible totale à l'échelle mondiale de l'énergie primaire fournie par les combustibles fossiles en 2025-2030 est forte, tout comme l'est celle d'un accroissement de sa demande sous l'effet de la poussée démographique et de l'aspiration de populations très nombreuses à plus de bien-être. Cela laisse présager bien des turbulences dans l'économie et de la société mondiales et peut-être même une crise de civilisation dans les pays industrialisés, tant est grande l'importance des combustibles fossiles dans leur structure et leur fonctionnement.
S'agissant de la France, avec une consommation de combustibles fossiles qui ne représente qu'environ 1% de la consommation mondiale, elle n'est guère en position de peser sur leurs marchés. La politique énergétique la plus sage qu'elle puisse suivre est sans doute d'anticiper leur déclin, en premier lieu celui du pétrole, pour accompagner ce déclin plutôt que d'avoir à le subir passivement. La priorité de cette politique devrait donc être de chercher les moyens de s'adapter à une diminution forcée et durable de notre approvisionnement en pétrole. A tout le moins, l'hypothèse d'une diminution progressive de notre approvisionnement en pétrole d'ici peu d'années devrait être prise rapidement en considération, et ses conséquences étudiées de près par les économistes. Mais une politique d'anticipation ne pourra guère être mise en place sans une très forte détermination: Elle rencontrera en effet de grandes résistances qui seront le fait non seulement de groupes catégoriels ou politiques ayant intérêt ou trouvant de la facilité au statu quo, ou d'«optimistes» convaincus de l'inexistence du problème, mais bien sûr aussi de raisons physiques, car se passer de pétrole sera très malaisé : Le pétrole est littéralement devenu, en particulier depuis la deuxième guerre mondiale, le sang des sociétés industrielles, à cause de la facilité et de la variété de ses usages, de son rôle déterminant dans les transports, et, jusqu'ici, de son faible coût d'accès. ! Il a aussi des utilisations pour lesquelles il semble très difficile actuellement de lui trouver des substituts de façon très significative: agriculture, travaux publics, transport aérien, pétrochimie...

La politique énergétique affichée officiellement actuellement par la France est surréaliste au vu des considérations précédentes :
La principale direction indiquée est la fermeture progressive des centrales nucléaires au profit de l'éolien et du solaire photovoltaïque. C'est pourtant l'importance de ce nucléaire qui lui a permis de décarboner presque complètement son électricité et ce faisant lui a permis de réduire sa consommation de combustibles fossiles (et ses émissions de gaz carbonique) à un niveau qui est de loin le plus faible de tous les grands pays industrialisés ! Or la fermeture des centrales nucléaires mènera chez nous pour l'essentiel à leur remplacement non pas par de l'éolien et du solaire photovoltaïque, mais par des centrales à combustibles fossiles, comme c'est le cas maintenant au Japon, car les électricités éolienne et solaire, intermittentes, ont besoin de centrales pilotables de soutien pour pouvoir être utilisées. Cela faute de moyens de stockage de l'électricité suffisamment importants, pour sans doute très longtemps.
La logique aurait voulu de concentrer les efforts, non pas sur l'électricité, déjà presque complètement décarbonée, mais sur les secteurs les plus consommateurs de combustibles fossiles, en particulier de pétrole, c'est-à-dire l'habitat et les transports. Cette politique aurait été efficace non seulement pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour améliorer la balance commerciale française qui souffre beaucoup du poids des importations de combustibles fossiles, et qui va souffrir aussi maintenant de plus en plus du poids des importations d'éoliennes et de panneaux solaires, fabriqués hors de France. Et bien sûr il aurait été possible ainsi de déjà se prémunir autant que possible contre les conséquences d'un déclin de la production pétrolière mondiale dans peu d'années. Beaucoup de temps et d'argent ont ainsi été perdus.
Il est urgent de se ressaisir ! Le nucléaire nous est indispensable pour faire face aux défis qui s'annoncent à court terme. Il faut donc, non le réduire, mais au contraire presser le pas pour le développer. Il faut en particulier développer rapidement les réacteurs surgénérateurs qui peuvent nous assurer des milliers d'années de ressources énergétiques.

1 Durand, B., 2018. Petroleum, natural gas and coal: nature, formation mechanisms, future prospects in the energy transition . A paraître, EDP Sciences, 2018.
2 Mobiliser la société face au pic pétrolier, Le Monde du 22 Mars 2012 http://tribune-pic-petrolier.org/
3 Heinberg, R. and Fridley, D., 2010 : The End of Cheap Coal. Nature 468, 367-369
4 Fridley, D. et al., 2012 . Review of China's Low-Carbon City Initiative and Developments in the Coal Industry . Ernest Orlando Lawrence Berkeley National Laboratory.