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Avis n°259

Nucléaire, renouvelables et transition énergétique

Ajouté par Maxence ANONYMISé (Saint-Doulchard), le
[Origine : Site internet]
Mix énergétique

Il est une idée reçue qui revient fréquemment lorsqu'on parle d'énergie : le développement du solaire et de l'éolien en France permettrait de fermer des réacteurs nucléaires sans ouvrir de centrales à charbon ou à gaz. Ce n'est pas exact.

Du fait de leur intermittence, l'énergie solaire et éolienne doivent être soutenues par d'autres sources d'énergie, dites pilotables, capables d'assurer la totalité de la production lorsqu'il n'y a pas de vent ni de soleil. L'exemple de l'Allemagne sur ce plan est éloquent : si les moyens pilotables (charbon, nucléaire et gaz essentiellement) totalisaient un peu plus de 100 GW de capacités en 2002, ils totalisent toujours un peu plus de 100 GW en 2018, la fermeture des centrales nucléaires ayant été compensée par l'ouverture de centrales à gaz. Et pourtant, les capacités solaires et éoliennes sont passées sur la même période d'un peu plus de 30 GW à environ 130 GW en 2018. Source : https://www.energy-charts.de/power_inst.htm

Sauf avancée majeure dans le secteur du stockage de l'énergie, le bouquet électrique allemand se dirige donc vers une association d'énergies renouvelables et fossiles (gaz et charbon). On peut bien entendu espérer cette avancée majeure, mais certains éléments laissent à penser que pour des raisons physiques, l'équation risque de ne jamais être aussi intéressante qu'on pourrait le souhaiter :
- stocker de l'électricité induit des pertes, plus ou moins selon la technologie, qu'il faudra compenser par une surproduction ;
- selon les technologies, le stockage peut demander de grandes quantités de matières premières, qu'il faut extraire du sol, raffiner, transformer, etc. par des procédés polluants et très consommateurs d'énergie.
Ces deux paramètres reviennent à diminuer l'efficacité énergétique : le système pris dans son ensemble a besoin de beaucoup d'énergie (et de matières et de travail humain) pour que l'on puisse finalement en utiliser relativement peu.

En outre, le gaz et le charbon émettent beaucoup de gaz à effet de serre et sont disponibles en quantités limitées (bien qu'importantes). Parier notre avenir sur des avancées incertaines des technologies de stockage en augmentant notre dépendance aux énergies fossiles dans l'intervalle est une spéculation potentiellement lourde de conséquences... En effet, si cette « révolution » des technologies de stockage n'arrive pas et que nous avons choisi la même voie que l'Allemagne, nous serons condamnés à utiliser du gaz et/ou du charbon (deux sources d'énergie polluantes, dont nous ne disposons pas, et présentes sur Terre en quantités certes importantes mais limitées) pour pallier l'intermittence du solaire et de l'éolien...

Le seul moyen dont dispose la France (ou l'Allemagne) pour réduire un jour sa puissance pilotable est de faire des économies d'énergie, composées un peu d'efficacité (les objets produisent les mêmes services tout en consommant moins) et surtout de sobriété (choix d'abandonner certains objets ou pratiques dans le but d'économiser de l'énergie). Pour donner un exemple : isoler son logement et continuer à le chauffer à 22°C, c'est de l'efficacité, choisir de le chauffer à 18°C, c'est de la sobriété (l'idéal étant de faire les deux). Autre exemple, remplacer une vieille voiture par une voiture de même taille qui consomme moins, c'est de l'efficacité, choisir d'acheter une petite voiture (quitte éventuellement à faire les longs trajets en train) c'est de la sobriété.

Les marges de progression sont considérables dans les économies d'énergie, mais elles nécessiteront des changements fondamentaux dans notre façon de concevoir le monde, de consommer et dans l'organisation de notre société. Prenons l'exemple des transports. Les réserves connues de lithium, cobalt et autres métaux nécessaires à la fabrication des batteries ne permettront jamais le remplacement du parc actuel mondial d'automobiles par des véhicules électriques (d'autant plus si on fait le choix de développer des berlines électriques plutôt que de toutes petites voitures légères). On peut également douter du bien fondé de vider toutes les gisements accessibles de métaux pour tenter d'atteindre cet objectif, ou de la capacité des sources d'énergie décarbonées (nucléaire inclus) à produire suffisamment d'électricité pour alimenter tous ces véhicules, en plus des usages électriques classiques. Ainsi, une transition énergétique durable dans le secteur des transports supposerait plutôt de chercher à diminuer les besoins de transports, à développer les transports en commun électriques puis à les favoriser par rapport aux transports individuels, plutôt qu'à simplement substituer des véhicules électriques aux véhicules classiques. Mais tout le monde comprendra aisément les difficultés que cela sous-tend : investissements à faire, changements d'habitudes et de marqueurs sociaux, etc.

Si le développement des sources d'énergie décarbonées (nucléaire, renouvelables, géothermie...) est un aspect important de la transition carbone, les économies d'énergie en sont un autre, malheureusement elles semblent encore bien loin du débat... qui préfère opposer renouvelables et nucléaire, deux sources d'énergie bas-carbone, tout en tentant de substituer les unes à l'autre à grands renforts de milliards. Ce faisant, nous passons complètement à côté de ce qui devrait être au coeur de la transition énergétique : réduire nos émissions de gaz à effet de serre et diminuer notre dépendance à des énergies fossiles importées, de plus en plus sollicitées mondialement et disponibles en quantités finies... Pendant ce temps, les réserves d'énergies fossiles se vident progressivement et le climat change.