Avis n°374
Quel mix électrique pour limiter le réchauffement climatique
le ,Constatant que la France n'était pas en ligne avec ses ambitieux objectifs de réduction de GES par rapport à 1990, aux horizons 2030 et 2050, toutes énergies confondues, et aux proclamations solennelles effectuées par les chefs d'état réunis à Paris pour la COP 21, en décembre 2015, quelques mois après l'adoption de la LTECV, le gouvernement a reconnu, le 7 novembre 2017, l'importance de la contribution du parc électronucléaire à la lutte contre le réchauffement anthropique de la planète et à l'évitement des émissions de GES qui l'entraînent.
L'électricité française est en effet décarbonée à près de 90%, grâce à un mix fortement électronucléaire et hydroélectrique. La France constitue ainsi un modèle de production d'électricité pour limiter la pire « menace du siècle » selon experts du GIEC et nombreux chefs d'état. Elle compte ainsi parmi les deux ou trois pays les plus vertueux du Monde, aux côtés de la Suède, dotée du même type de mix électrique et de la Norvège, hydroélectrique à 90%. Pourquoi, en l'absence de solutions alternatives efficaces, faudrait-il se priver prématurément d'un tel parc de production ?
Rappelons que depuis une trentaine d'années, en moyennes annuelles, ce mix électrique singulier, nous a permis de :
- réduire nos émissions de CO2 de quelque 300Mt/an (alors que les émissions, en France, atteignaient 325Mt/an, toutes énergies confondues, en 2017)
- économiser l'importation de près de 100Mtep/an d'hydrocarbures (charbon, fuel oil ou gaz),
- diminuer en proportion notre facture d'importation (quelque 30Mds d'euros),
- contenir nos tarifs aux particuliers à un niveau relativement bas ; ceux de nos voisins européens ont été de 70 à 100% plus élevés selon les pays et les années.
Si l'on en croit certains médias, l'ADEME et lobbies anti-nucléaires, la solution serait dans la multiplication des éoliennes et autres panneaux solaires ? Nous inspirant du modèle allemand, nous pourrions aller beaucoup plus loin encore. Examinons donc les situations allemande et française.
En 2017, les performances des moyens de production les moins émissifs de GES (électronucléaire, éolien et photovoltaïque) allemands et français sont résumées ci-après.
Avec près de 50% de la puissance totale du pays (202 GW) et 50% de plus que les 63 GW électronucléaire de la France, les 99 GW (99000 MW) de capacités éoliennes et photovoltaïques (EnRi) allemandes ont produit 142 TWh ; c'est à dire 23% de la production totale Allemande. La même année, leurs dernières unités nucléaires (condamnées à être arrêtées en 2022) qui totalisent 10.8 GW (5% de la capacité totale allemande) produisaient 72 TWh (12 % de la production totale Allemande) .
Sur la même période, le parc nucléaire français produisait 380 TWh (72% du total électrique de la France) tandis que les EnRi, qui comptaient 21 GW de puissance nette, produisaient 33 TWh.
Sachant que les émissions de GES associées à la production d'électricité proviennent, en Allemagne, essentiellement des centrales à combustibles fossiles fortement sollicitées pour pallier les intermittences et le caractère non pilotable des EnRi pour adapter la production à la demande fluctuante, les émissions de GES allemandes associées à la production d'électricité restent environ dix fois supérieures aux nôtres.
Comparaisons 2017 Puissance nette installée
(GW) Energie nette produite
(TWh) Emissions GES*
(Mt éq. CO2)
Allemagne Eolien 56.2 104 0.6
Solaire PV 43 38 2.1
Nucléaire 10.8 72 0.4
France Eolien 13.6 24 0.14
Solaire PV 7.7 9 0.5
Nucléaire 63.1 379 2.3
* Sur la base des émissions de GES (exprimées en g équivalent CO2/kWh) calculées par l'ADEME (en janvier 2015), en considérant l'ensemble du cycle de vie des moyens de production d'électricité :
Filières de production Emissions directes +ACV
Nucléaire 6
Charbon 1038
Gaz naturel (TAC) 406
Fioul oil 704
Hydraulique de stockage 4
Photovoltaïque 55
Eolien 7.3
Géothermie 45
Les tarifs aux particuliers, en Allemagne et dans tous les pays voisins, sont très supérieurs aux nôtres.
Doit-on ajouter que ces nouveaux moyens d'électricité renouvelables impliquent des investissements lourds, compte tenu de leur faible productivité :
- des coûts directs pour leur construction, leur maintenance et leur démantèlement,
- des coûts indirects pour développer des réseaux électriques en rapport avec leur foisonnement territorial et construire des moyens de compensation de leur production fatale, au « au fil » du vent et du soleil ?
Soulignons aussi que, pas moins émissifs de CO2 que le parc électronucléaire (c'est même le contraire pour le photovoltaïque, si l'on considère l'ensemble de leurs cycles de vie), ils souffrent par ailleurs de limites rédhibitoires pour la stabilité du système électrique auquel ils contribuent :
- un faible facteur de production : 5 fois moindre que celui des centrales conventionnelles (nucléaires et fossiles) pour le photovoltaïque, 3 fois moindre pour l'éolien,
- intermittence et non adaptabilité aux fluctuations de la consommation.
Autant de facteurs de déstabilisation susceptibles d'induire de graves « black-out » à défaut de disposer de moyens pilotables supplétifs (centrales à lignite, charbon et gaz en Allemagne, parc nucléaire en France).
Ainsi, les émissions de CO2 allemandes, toutes sources confondues, se réduisent légèrement mais restent supérieures à 900 Mt/an depuis 5 ans, quand les nôtres augmentent légèrement depuis 3 ans pour atteindre 325 Mt en 2017.
Au contraire de l'Allemagne, la France dispose donc de très peu de marges de réduction d'émissions de CO2 dans le domaine électrique.
Dans ce contexte, nos moyens financiers ne doivent-ils pas être consacrés prioritairement à développer les moyens les plus efficaces à court-moyen termes et à conduire nos recherches pour réduire nos émissions de GES et favoriser la sobriété énergétique ?
Compte tenu de leur impact environnemental, la France doit donc privilégier les aides à l'isolation des bâtiments, et au remplacement des véhicules les plus émissifs par des solutions moins ou peu polluantes, conventionnelles ou électriques, notamment, sans attendre des changements comportementaux collectifs significatifs. Compte tenu de l'habitus et de l'addiction au confort, de l'insouciance et de l'indifférence, on ne peut attendre de changements lents d'individus non aidés, ou non contraints.
Considérant :
- le plan solaire du Groupe EDF à l'horizon 2030 (+30 GW à construire entre 2020 et 2035, pour un investissement de 25 Mds d'euros, apportant à terme une énergie supplémentaire non programmable de 35 TWh/an),
- les différents projets éoliens marins (+3 GW capables de produire 10 TWh/an) envisagés depuis plusieurs années (mais toujours incertains compte tenu de leurs coûts élevés et des contestations écologiques locales),
- les fortes incertitudes qui pèsent sur les objectifs de réduction de la consommation d'électricité annuelle aux horizons 2030 et 2050,
- l'absence de solution de stockage de masse compensatrice des variations incontrôlées des EnRi, technico-économiquement performante, à moyen terme,
la solution raisonnable n'est-elle pas de maintenir notre puissance nucléaire actuelle jusqu'en 2029-2030 ?
La déclaration de N. Hulot, en ce début d'année, me conforte dans cette conviction. En sa qualité de ministre, il est en effet, mieux que quiconque, informé des enjeux et des risques de la problématique et on ne peut pas lui reprocher d'être pro-nucléaire.