Avis n°99
Débat public pipé
le ,Après avoir pris connaissance des modalités et du contenu du débat public sur le projet de Liaisons Nouvelles Bretagne-Pays de la Loire (synthèse et étude complète du maître d'ouvrage + expertise complémentaire de la CNDP), je conclus à une consultation malheureusement pipée, car entachée d'un manque de transparence et de sincérité sur la forme comme le fond du projet considéré.
En donnant l'illusion d'une démarche d'intérêt général exclusive fondée sur la vision globale d'un aménagement des territoires équilibré, dans une dynamique économique durable, en prise avec les besoins réels de la population, et comportant une empreinte écologique aussi réduite que possible au vu des enjeux environnementaux multiformes parfaitement maîtrisés et assumés.
Je passerai – en l'espèce comme pour bien d'autres projets soumis à consultation publique – sur le caractère indigeste voire incompréhensible des documents du maître d'ouvrage pour le citoyen-contribuable-usager commun qui doit pourtant évaluer leur pertinence. Leur densité et leur technicité servent évidemment les gages de vision prospective des décideurs publics, d'expertise du maître d'ouvrage, de rigueur des propositions soumises. Mais pas que... De savants artifices (déclarations de bonnes intentions concrètement invalidées dans les options d'aménagement préférentielles ; explications techniques aussi exhaustives qu'absconses ; schémas aussi colorés qu'indéchiffrables ; calculs de gains et d'économies quantitatives et qualitatives aussi argumentés que leurs bases sont incomplètes ; etc.) servent subrepticement – dans ce qui n'est censé être qu'une toute première phase publique de seuls choix d'orientation, pour une réalisation potentielle à l'horizon 2030 – le « guidage » de notre avis pour faire entériner, au prix de quelques questionnements de notre part, des choix prédéfinis de longue date et dont l'ensemble des composantes ne nous est pas soumise alors qu'elles sont intimement liées.
Pour illustrer mon propos, je me concentrerai tout particulièrement sur le projet de liaison nouvelle entre Rennes et Nantes. Où l'on peut constater que d'omissions opportunes en incohérences coupables, tout est optimisé pour cautionner en fait l'implantation d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des Landes (« aéroport du grand ouest » (AGO)), dont aussi bien l'utilité que la viabilité économique en regard des enjeux environnementaux et financiers sont vivement contestées. La réciproque est de mise : pas de nouvelle liaison ferroviaire Rennes-Nantes sans AGO !
Comme dans de nombreux autres grands projets soumis à consultation publique et faisant l'objet d'une procédure pré-contentieuse de la Commission européenne contre la France, nous sommes bien ici en présence d'un authentique et pervers « saucissonnage » du dossier global d'infrastructures de transport, liant mutuellement l'implantation d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes (transfert de Nantes-Atlantique en 2017-2018) à la réalisation d'une ligne ferroviaire nouvelle entre Rennes et Nantes à l'horizon 2030. Ce saucissonnage s'inscrit dans la parfaite logique de celui qui a prévalu pour le dossier d'AGO lui-même, lequel vaut depuis avril 2014 son inscription à la procédure d'enquête européenne précitée ouverte en 2009. Ce saucissonnage (qui vise à empêcher le public d'avoir une vision globale des grands projets qui lui sont soumis, donc de leurs impacts environnementaux et financiers qui sont négativement très élevés), remet singulièrement en cause l'objectivité et la sincérité, donc la validité de la consultation en cours.
J'en veux pour preuves ou indices les éléments suivants :
1) Sinon à conditionner le public à la double réalisation de l'aéroport du Grand Ouest et à sa ligne ferroviaire dédiée (scénario bleu, fort bien valorisé au détriment des autres mauve et vert truffés d'inconvénients) : quel objectif vise la « feuille blanche » consistant à montrer dans tous les documents mis à leur disposition l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme unique plateforme des deux régions, alors que cet équipement n'en est encore qu'à l'état de projet et dont la réalisation est même hypothéquée par : de nombreux recours juridiques (Commission européenne notamment) et des contre-expertises indépendantes invalidant les données officielles ; une contestation populaire qui ne faiblit pas, au point d'essaimer sur d'autres grands projets jugés inutiles et imposés, destructeurs et ruineux ? A l'inverse, comment expliquer que l'ensemble des aéroports (selon la nomenclature officielle) existant dans les deux régions soient totalement absents des mêmes documents et des scenarii correspondants, alors qu'ils sont bien en activité commerciale et non commerciale ? Rien que pour la zone exclusivement ciblée par le projet LNOBPL, cela donne en effet : pour la Bretagne : Belle-Ile-en-Mer ; Brest-Bretagne ; Dinard-Pleurtuit-Saint-Malo ; Lannion-Côte de Granit ; Lorient-Bretagne sud ; Morlaix-Ploujean ; Ouessant ; Quiberon ; Quimper-Cornouaille ; Rennes-Saint-Jacques ; Saint-Brieuc-Armor ; Vannes-Golfe du Morbihan ; pour les Pays de la Loire : Ancenis ; Angers-Loire ; La Baule-Pornichet-Le Pouliguen ; Nantes-Atlantique ; Saint-Nazaire-Montoir. Ces 17 plateformes aéroportuaires d'envergure régionale, voire nationale et même internationale pour les plus importantes : n'irriguent-elles pas suffisamment le territoire – puisque c'est l'objectif central du présent projet – ? ne sauraient-elles faire l'objet d'une mise en réseau pour mutualiser la réponse aux besoins des voyageurs commerciaux et non commerciaux et réaliser les économies d'échelle rendues urgentes par l'assèchement des finances publiques - comme nous le matraquent les pouvoirs publics nationaux et locaux - ? Sont-elles vouées alors à disparaître avec leurs emplois, leurs passagers et leurs subventions ? Il ne me semble pas que les citoyens-contribuables-usagers de nos deux régions ont été informés d'une telle destinée...
Comment le maître d'ouvrage est-il présentement amené à cette présentation tronquée donc insincère, pour cautionner subrepticement l'imposition d'un nouvel aéroport en plein bocage humide agricole d'intérêt communautaire (70% ont disparu en 50 ans sous le béton) via une nouvelle liaison ferroviaire, et vice-versa ? Par le postulat politique – appuyé par certains lobbies économiques et sur la base d'études de pouvoirs publics juges et parties, pointées comme incomplètes, incohérentes ou anormalement optimistes – que la plateforme de Nantes-Atlantique était obsolète, saturée, dangereuse, aux nuisances incorrigibles. Ce que des contre-expertises indépendantes ont invalidé ou sérieusement mis en doute.
Au contraire, Nantes-Atlantique : est un aéroport sûr et performant (classé meilleur aéroport européen 2012 par les compagnies aériennes) ; est très loin d'être saturé (moins de 66 000 mouvements actuels par an pour 110 000 supportables ; des aérogares ont été fermées pour construire des parkings) ; ses nuisances peuvent être réduites par des mesures techniques adoptées dans tous les autres aéroports et des aides à l'insonorisation des 5000 logements ; il dessert idéalement « l'étoile ferroviaire nantaise » (celle-là même que le maître d'ouvrage veut valoriser dans les LNOBPL) via la voie ferrée utilisée actuellement pour le seul fret et son raccord au tram à 1,5 km ; est aménageable à moindre coût avec des créations d'emplois immédiates (selon l'étude 2014 d'un cabinet d'architectes indépendant) ; contribue avec près de 2000 emplois à réduire le sévère déficit d'emplois du Sud-Loire par rapport au Nord-Loire.
En comparaison, qu'est-ce que le public a appris en lisant le Canard enchaîné début octobre de l'aéroport du grand ouest, appelé à remplacer Nantes-Atlantique pour garantir le maintien de l'ouest atlantique (Nantes-Saint-Nazaire en particulier) dans la course à la sacro-sainte compétitivité économique européenne entre métropoles – selon les discours officiels – ? Sa demande de permis de construire fait apparaître une diminution de toutes les surfaces, de tous les équipements et services affectés aux voyageurs stricto sensu, parfois en-deçà des préconisations techniques officielles ; la part du lion (sur une emprise totale de terres agricoles près de trois fois supérieure à celle de Nantes-Atlantique) est réservée aux surfaces commerciales ! Par ailleurs, la capacité de l'AGO sera exactement la même que celle de Nantes-Atlantique : 4,5 millions de passagers ! Si tant est que cela soit techniquement possible : quel serait alors le coût d'un aménagement de l'AGO pour atteindre la capacité hypothétique donc contestée de 9 millions de passagers après 2050, à laquelle s'adossent les projections de LNOBPL et les coûts afférents ? Mystère !
2) Ce même saucissonnage permet aussi d'alléger artificiellement la facture du projet LNOBPL, en masquant abusivement au public le coût de l'AGO, puisque cet équipement n'existe pas : il reste à construire avec ses dessertes ! Sauf erreur de ma part : soit 800 millions d'euros selon les projections les plus optimistes (DGAC) ! Ce coût doit obligatoirement s'ajouter à celui des LNOBPL qui le desserviraient ! Les coûts globaux des 3 scenarii seraient évidemment tous impactés et rendraient certainement la déclinaison actuelle du projet LNOBPL moins attractive pour l'usager-contribuable. Mais c'est tout particulièrement sa variante bleue – valorisée par le maître d'ouvrage au vu de choix politiques discutables (tram-train) qui ont concouru à rendre techniquement compliquée (à dessein?) la liaison rapide Rennes-Nantes par Châteaubriant... – qui risquerait de voir son ratio coût-avantages fondre comme neige au soleil ! Tandis que là : comment ne pas valider naturellement ce scénario le plus flatteur à tous points de vue, y compris ses « gains » en terme d'empreinte écologique (notamment : pourcentage de CO2 non émis, en application des engagements français et régionaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre) ?!
3) Car c'est sur ce terrain que la supercherie et le scandale trouvent à se révéler complets. Dans ses documents, le maître d'ouvrage affirme que « Les enjeux environnementaux [déclinés par ailleurs de manière extrêmement circonstanciée et détaillée] ont été intégrés à la conception des scenarii ». Fort du souci premier de répondre résolument à ces enjeux dans les projections de LNOBPL, il prétend appliquer le principe qui devrait présider désormais en toutes circonstances à ce type de projet : « Eviter – Réduire – Compenser », que l'on retrouve décliné par l'exposé des 6 principes de base ayant présidé auxdits scenarii (Synthèse du dossier du maître d'ouvrage, pp.8-9).
Nous pourrions saluer cette assomption et croire à la sincérité de la démarche, si ce principe « Eviter – Réduire – Compenser » n'était pas vidé de sa substance par un double détournement : il a été foulé du pied une première fois pour le projet d'AGO validé en 2008 et auquel le projet de LNOBPL est aujourd'hui couplé. C'est en substance ce qui ressort de l'éminent rapport du collège d'experts scientifiques mandaté par l'Etat (avril 2013), qui a invalidé aussi bien le principe de la méthode expérimentale de compensation des destructions environnementales retenue dans le dossier, que son applicabilité au site de Notre-Dame-des-Landes, zone humide à cheval sur deux têtes de bassins versants à la qualité et la quantité d'eau exceptionnelles, à la biodiversité remarquable (protégée par le droit européen). Preuve parmi d'autres mais essentielle du maintien opportun d'un équipement existant, performant et aménageable (Nantes-Atlantique) pour éviter une destruction du milieu naturel de Notre-Dame-des-Landes – avec ses 500 emplois au moins afférents dans la filière agricoles – ; les 6 principes de base censés sous-tendre son application pour les LNOBPL sont concrètement invalidés par les choix de tracé (2 scenarii de liaisons nouvelles sur 3, alors que deux principes engagent le maître d'ouvrage à « s 'appuyer au maximum sur le réseau existant (…) » et « desservir les gares existantes ».
Cette contradiction s'applique particulièrement au scénario bleu, paré de quasiment toutes les vertus : on est vraiment très loin de « l'élaboration des options de passage [privilégiant] l'évitement des zones à enjeux (éco-conception) » à Notre-Dame-des-Landes !