Xavier Vilain, Dunkerque, 08/12/2017
Dans le rapport « De la polarisation du trafic de conteneurs à la concentration spatiale : l’exemple des ports d’Europe et de la Méditerranée - Sébastien Bourdin, Thomas Cornier » (publié le 22-02-2017 sur https://hal.archives-ouvertes.fr/ ), on peut lire ces phrases :
- « La rangée Nord a été la façade maritime la plus étudiée. Elle comprend notamment les deux plus grands ports européens distants de seulement 100 km, Anvers et Rotterdam. Ces deux ports présentent un avantage indéniable, à savoir un accès privilégié à l’espace rhénan et plus globalement aux grands centres économiques et industriels européens de la « Banane bleue » et aux grandes régions métropolitaines (Paris, Francfort, Munich, Düsseldorf, Ruhr, Bruxelles). »
- « La concentration spatiale – mesurée à l’aide de l’indice de Moran – semble se renforcer dans les régions plus centrales à très fort trafic comme dans le Range Nord mais également si nous observons ces éléments à l’échelle méso, à savoir celle des façades maritimes. »
- « A l’échelle euroméditerranéenne, le trafic se polarise en général sur un ou deux ports par façade, ce qui complexifie la tâche des autres ports qui luttent pour garder leur compétitivité à l’instar du Havre et de Marseille, les deux plus grands ports français qui subissent la concurrence d’Anvers ou Zeebrugge pour le premier cité ; d’Algesiras, Valence, Barcelone et Gênes pour le second. »
AUSSI, face à ce constat scientifique de concurrence, de recherche de compétitivité, et donc de concentration, comment le GPMD peut-il nous assurer que le « marché » du conteneur va se diversifier, et que le Port de Dunkerque va savoir capter une partie du trafic, de plus en plus concentré actuellement ? Où se trouvent les études économiques précises et chiffrées, tendant à montrer une inversion de cette tendance ? Merci
Réponse du Maître d'Ouvrage :
Evolution de la taille des navires
Dans un premier temps, il convient de noter que l’étude présentée ici se base sur des données datant de 2010, pour les plus récentes. Il convient donc d’en modérer les conclusions, en particulier car à cette date, la plupart des ports cités présentaient des conditions nautiques leur permettant d’accueillir les plus grands porte-conteneurs existants.
Aujourd’hui, la flotte de porte-conteneurs évolue à très grande vitesse vers des navires de plus de 13 000 EVP. En effet, l’augmentation des trafics en conteneurs s’accompagne d’une course au gigantisme pour les navires porte-conteneurs, comme l’indique la figure suivante, illustrant les navires les plus récents déjà en service ou actuellement en construction pour le compte des plus grandes compagnies maritimes.
Ces navires, pouvant transporter plus de 20 000 EVP, ont des dimensions telles (tirant d’eau de 16,5 m [hauteur de la partie immergée du navire], longueur de 400 m, largeur de 60 m) que tous les ports ne peuvent plus les accueillir.
Seuls trois ports peuvent accueillir ces navires par toutes conditions de navigation (temps et marée) : Rotterdam, Dunkerque et Felixstowe.
Comme l’indique d’ailleurs le rapport référencé, « l’accessibilité du port aux grands navires – que ce soit en termes de grandes routes maritimes ou d’accès en eaux profondes – peut constituer un facteur de (dé)concentration pour les ports qui peuvent jouer de cet avantage (Baird, 1996 ; Zohil et Prijon, 1999 ; Slack et Wang, 2002). […] A ce jour, le porte-conteneur le plus grand (Mærsk Mc-Kinney Møller) peut transporter 18270 conteneurs EVP (Equivalent Vingt Pied). Il se pose alors la question de la capacité des ports à pouvoir accueillir de tels « géants des mers ». Or, seules les très grandes plates-formes portuaires européennes peuvent accueillir des porte-conteneurs à grand tirant d’eau renforçant ainsi la polarisation du trafic.»
L’évolution de la taille des porte-conteneurs est un facteur structurant pour le dimensionnement des nouveaux terminaux. Environ 30 % des navires en construction ont une capacité supérieure à 13 000 EVP.
Dans ce contexte d’évolution particulière, accueillir les plus grands navires à 16,5 m de tirant d’eau est stratégique pour compter parmi les grands ports européens. Dunkerque dispose ainsi d’un atout capital qui le mettra en première ligne par rapport à ses concurrents dans les prochaines années, en tant que plateforme portuaire européenne pouvant accueillir des porte-conteneurs à grand tirant d’eau.
Une localisation stratégique dans le Range Nord
Comme l’indique le rapport référencé, « L’accessibilité du port aux grands navires – que ce soit en termes de grandes routes maritimes ou d’accès en eaux profondes – peut constituer un facteur de (dé)concentration pour les ports qui peuvent jouer de cet avantage (Baird, 1996 ; Zohil et Prijon, 1999 ; Slack et Wang, 2002). »
Le port de Dunkerque est situé en mer du Nord avec une position géographique stratégique : à la sortie du détroit du Pas de Calais, il se trouve à 90 minutes de navigation de la deuxième route maritime mondiale (600 navires par jour). Il est ainsi le port du Range Nord le plus proche de cette route maritime et parmi les premiers atteints par les lignes transocéaniques.
Il est également très proche des ports anglais et idéalement situé pour desservir les ports de moindre capacité, ce qui favorise son positionnement sur le trafic transmanche, le « short-sea shipping » et le transbordement.
Un marché existant et accessible dans l’arrière-pays
Comme l’indique le rapport référencé, « Il faut cependant noter que l’accessibilité à un arrière-pays économiquement développé est un facteur qui prime sur la taille de la ville-port en elle-même (Ducruet, 2005b et 2008). […] C’est une des raisons pour lesquelles les exploitants mondiaux de terminaux portuaires et les grands armateurs privilégient les ports de porte d’entrée que les autres (Frémont et Parola, 2011). »
Dunkerque est à ce titre très bien situé géographiquement et positionné en termes de report modal.
Dunkerque-Port est au centre d’une zone constituée de métropoles européennes : Bruxelles-Londres-Paris-Manheim, avec un bassin de consommateurs de plus de 80 millions d’habitants (page 33 du DMO)
Comme l’indique le rapport référencé, « La localisation peut être un facteur de polarisation comme un facteur de dispersion du trafic. C’est Hayuth (1981) avec l’exemple du port d’Oakland qui a été le premier à montrer comment certains
petits ports avaient émergé grâce à l’amélioration ou au développement des infrastructures ferroviaires à proximité et/ou à l’émergence de nouveaux marchés »
« Le rôle des avant et arrière-pays peut-être un élément moteur dans le développement d’un port. Autrement dit, une compagnie d’armement maritime aura plus tendance à choisir le port X plutôt que le port Y si elle sait que le premier est bien mieux desservi par les transports que le second. Les infrastructures de transbordement, les corridors logistiques et les services intermodaux associés (autoroutes, rail, barges et transport maritime de courte distance) »
« Par ailleurs, l’accessibilité et la localisation à proximité d’une grande aire de marché (exemple de l’axe Seine ou du London gateway). Il faut cependant noter que l’accessibilité à un arrière-pays économiquement développé est un facteur qui prime sur la taille de la ville-port en elle-même »
Les ports constituent de véritables plateformes multimodales disposant de nombreuses utilités, et d’infrastructures de transport, fluviales, ferroviaires, routières et maritimes nécessaires au pré et post-acheminement.
Le report modal permet de baisser les coûts de transport et de limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) par la massification, en utilisant le mode de transport dont le coût par unité de masse est le plus faible.
Des études ont été conduites par Dunkerque-Port pour déterminer les variations de trafic ferroviaire, fluvial et routier sur le long terme. Ces études ont été réalisées sur la base des projections de trafic liées au projet CAP 2020, mais également en intégrant les autres projets d’aménagement de la région Hauts-de-France, et plus généralement les perspectives de croissance de trafic (locales et en transit) utilisées traditionnellement pour ce type d’études.
Elles montrent que l’augmentation massive des trafics conteneurs liés au projet CAP 2020 est une occasion pour renforcer l’offre multimodale du port et permettrait de faire passer la part routière de 80 % à 49 % à l’échéance 2035, principalement au profit du mode ferroviaire.
Les conclusions de ces études ont été partagées avec les gestionnaires des infrastructures de transport concernées dans le cadre de différents groupes de travail autour du rail (SNCF), du fluvial (VNF) et de la route (CUD, département, direction interdépartementale des routes du nord, DREAL).
Ces échanges constructifs, qui se poursuivront lors des études techniques ultérieures, ont permis de conclure à la compatibilité des principales infrastructures existantes avec les ambitions de croissance de trafic du projet CAP 2020.
La création de capacité à Dunkerque trouve donc toute sa place dans la logique de corridor européen et de défense des intérêts portuaires français. Cette création de capacité s'appuierait sur des réserves foncières disponibles dont peu de ses concurrents bénéficient. D'autre part cela permettrait également de répondre à l'enjeu de diversification des filières du port de Dunkerque et de renforcer la place du port en tant que porte d'entrée de son hinterland. Ainsi, la réduction des distances et le report modal de la route vers le rail et le transport fluvial présents à Dunkerque sont des atouts qui favoriseraient cette ambition et qui participeraient à diminuer les émissions de gaz à effet de serre induites par le transport routier de conteneurs.
Les nombreux atouts de Dunkerque-Port ont conduit l’Union Européenne à l’intégrer dans le réseau transeuropéen de transport (RTE-T).
Elle considère Dunkerque-Port comme un maillon essentiel de la chaîne logistique sur ce corridor et comme une véritable plateforme multimodale.
Des emprises déjà réservées pour le développement dans un port à l’échelle régionale
Comme l’indique le rapport référencé, « Lorsqu’un port doit absorber un trafic de conteneurs toujours plus important et que par ailleurs la place dont il dispose est limitée et qu’une extension n’est pas possible, alors les coûts de congestion contribuent à répartir le trafic vers les autres ports à proximité »
« Lorsque les ports sont très grands, des coûts supplémentaires peuvent intervenir (i) pour la compagnie maritime dont le navire devra subir un allongement des délais pour couvrir les longues distances à l'intérieur du port mais également (ii) pour les opérateurs portuaires en raison des coûts nécessaires à la manutention de la cargaison. Ceci entraîne alors des déséconomies d’échelle propices à une répartition moins concentrée du trafic de conteneurs.
C’est justement pour éviter ces déséconomies d’échelle et pour avoir l’opportunité de choisir entre plusieurs ports que certains opérateurs de terminaux ou compagnies maritimes privées ont mis en place une stratégie de diversification des ports d’escale (Ducruet et Notteboom, 2012).
Cette dernière a contribué à l’émergence de ports secondaires et au développement du transbordement. Il permet à la fois l’alimentation de nombreux ports secondaires et le développement de « gateways », à savoir des stratégies régionales permettant de favoriser un lieu central (métropole, centre de distribution, etc.), un grand port et également plusieurs ports secondaires qui seront connectés à cette stratégie et dont le développement sera favorisé (ex : Axe Seine, Flanders Gateway, Grand Londres, Mediterranean-Atlantic,…). »
« Cette situation existe aussi du fait que les grands ports arrivent à saturation et que leurs possibilités d’extension ne sont pas infinies (ex : Anvers, Rotterdam voire même Le Havre). Cela oblige les Etats à faciliter la mise en réseau et le développement de gateways. »
Dunkerque-port répond à ces enjeux.
- En disposant dès à présent, à l’inverse des grands ports du Range Nord, d’un potentiel foncier important de 3 000 ha en pleine propriété et de lignes de transbordement déjà existantes.
- En se positionnant comme port Gateway pour la région Nord de France, en s’appuyant notamment sur l’axe Nord de la stratégie portuaire nationale et sur le corridor mer du Nord-Méditerranée du réseau RTE-T (Réseau Trans européen de Transport). Dunkerque-Port est donc identifié comme un maillon essentiel de la chaîne logistique sur ces deux stratégies.
Dunkerque-Port au cœur d’une stratégie nationale
Comme l’indique le rapport référencé, « Pour concurrencer les ports belges et pour diversifier l’activité économique de cette région, les Pays-Bas aident au développement des ports de Zélande, cette dernière étant d’un intérêt stratégique pour les néerlandais car en concurrence directe pour Anvers et même Gand (les deux ports sont distants de 20 km environ). Sur l’axe Seine, la rive Sud au niveau de l’Estuaire est un moyen pour développer de nouvelles plateformes logistiques. »
La même volonté politique a été mise en exergue par le gouvernement français lors des assises de la Mer en novembre, en confirmant notamment le positionnement de Dunkerque-Port comme tête de pont sur l’axe Nord, avec l’objectif de capter 70% du flux global de Conteneurs entrant en France.
Cette volonté se traduit concrètement par le projet CAP 2020, qui permettra à Dunkerque-Port de capter une plus grande part de marché à l’horizon 2035, en particulier grâce à des infrastructures portuaires étendues et à des plateformes logistiques réalisées sur le domaine portuaire.
Une dynamique de captation des parts de marché déjà en place depuis 2010
Le marché de l’hinterland des ports du Range a atteint 40 millions d’EVP en 2016.
Dunkerque-Port est situé à proximité de deux marchés importants : l’Ouest de la Belgique, et le Nord de la France (régions Hauts-de-France et Grand Est).
L’analyse des trafics de conteneurs annuels en EVP entre 2007 et 2015 montre une tendance à la hausse des parts de marché de Dunkerque-Port qui, si elle n’était pas plafonnée par les capacités structurelles des infrastructures existantes, amènerait à 1,5 % de part de marché en 2035.
En complément, la progression du trafic conteneur, qui est d’ores et déjà constatée sur le littoral français Manche-mer du Nord depuis 2010, et en particulier sur les ports de Dunkerque (+ 60 %) et du Havre (+ 10 %), pour une croissance de 15 % sur le Range Nord, accentuera encore également cette tendance.
Dunkerque-Port s’appuiera à court terme, pour continuer sur cette dynamique, sur l’extension du quai de Flandre en cours, sur les réserves de capacités des réseaux de transport terrestre, mais aussi sur la poursuite des actions positives déjà engagées sur le plan réglementaire (CCS, THC, aide à la pince), commercial (missions à l’étranger, prospections dans l’hinterland, lien permanent avec les clients de Dunkerque-Port), et organisationnel (association Norlink port, lien avec les ports maritimes). A moyen terme cette progression sera limitée par le manque d’infrastructures si les investissements de CAP 2020 ne sont pas réalisés.
Une étude socio-économique spécifique au projet
Pour l’élaboration du projet CAP 2020, des études spécifiques et détaillées ont été conduites pour le compte de Dunkerque-Port, afin d’identifier et de quantifier les parts de marchés captables par le port sur le Nord de la France (Grand Est et Hauts de France).
Ces études sont fondées sur des modèles économiques classiques et sur la connaissance approfondie du marché conteneurisé actuel par les équipes marketing de Dunkerque-Port.
Les hypothèses, méthodes de calculs et conclusions principales de cette étude sont bâties sur la méthodologie suivante, également détaillée en annexes du Dossier du Maître d’Ouvrage (cf. fiche relative aux études socio-économiques).
- Le modèle de croissance : les observations des trafics de conteneurs trimestriels des 10 dernières années pour 7 ports du Range Nord (Le Havre, Dunkerque, Zeebrugge, Anvers, Rotterdam, Bremen/Bremerhaven, Hambourg) ont été prises en compte. Les prévisions macro-économiques de la Commission européenne et de l’OCDE (pour les pays hors UE) ont été utilisées en prospective.
- Le calcul des marchés potentiels de chaque zone géographique : il est fondé sur les projections de croissance de chaque zone à l’horizon 2035, établies par la Commission européenne.
- Le modèle de choix portuaire : il se fonde sur des critères quantifiables qui sont les coûts maritimes en route libre, les coûts de passages portuaires (services aux navires, coûts d’approche, coûts à quai, redevances portuaires, coûts de manutention) et l’accessibilité dans l’hinterland.
- Le modèle de transbordement et d’hinterland : il permet de répartir les trafics maritimes entre ces deux marchés. Les trafics terrestres sont répartis par région et par mode de transport (routier, ferroviaire, fluvial).
La perspective de part de marché pour le port de Dunkerque s’appuie ainsi sur l’intégration de trois phénomènes :
- l’évolution du contexte macro-économique et des trafics conteneurs du Range Nord ;
- l’évolution des attractivités portuaires et des parts de marché sur la façade maritime ;
- l’évolution des attractivités terrestres et des parts de marché dans l’hinterland.
Ces études permettent de montrer la capacité de Dunkerque-Port à capter des parts de marchés sur le Range Nord et dans l’hinterland, en s’appuyant notamment sur :
- la position stratégique de Dunkerque-Port par rapport à la route maritime nord – Mer du Nord (port le plus proche sur le Range Nord).
- les capacités de Dunkerque-Port à accueillir les plus gros porte-conteneurs par toutes conditions de navigation
- la réduction des distances des chaînes de transport qui favorise le report modal vers le fluvial et le ferroviaire, pour lesquels Dunkerque-Port présente ainsi d’atouts majeurs par rapport à ses concurrents (décarbonation du transport à l’échelle européenne)
- la proximité des bassins de consommation grâce aux réserves de capacités sur les reports modaux.