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Question n°285

Suite question n°106 - Confusion entre fins et moyens

Ajouté par 2631 (Suresnes), le
[Origine : Site internet]

Pour faire suite à la question n°106 du 20/03 - Confusion entre fins et moyens -, j'ai du mal à me satisfaire de la réponse de la Maîtrise d'Ouvrage en date du 16/04, qui rejoint celles apportées à de nombreuses autres questions pointant l'incohérence, le problème de priorisation et de hiérarchisation des urgences inhérents à la LTE telle qu'elle est encore aujourd'hui énoncée. En effet la première phrase de cette réponse « La réduction des émissions de gaz à effets de serre est bien l'objectif central de la politique énergétique » n'est-elle pas fondamentalement en contradiction avec l'affirmation qui suit, deux lignes plus loin : « Cet objectif [de réduction du nucléaire] ne s'appréhende pas par rapport à la quantité de CO2 évitée, mais en termes de diversification » ?

Faut-il comprendre que l'objectif de réduction des GES, priorité et urgence mondiale absolues étant donnés les risques collectifs associés au dérèglement climatique de submersion des territoires côtiers, de désertifications massives, de destruction des écosystèmes, de ravages dans la biodiversité végétale et animale terrestre comme marine, de pénuries de nourriture et dans beaucoup de régions de ressources en eau, de déplacements de populations sans précédent, d'explosion de la mortalité sur tous les continents, de menace directe sur les civilisations humaines, se trouve de facto subordonné à cet objectif de principe de diversification à marche forcée d'un mix électrique national qui est déjà décarboné ? Cela est très manifestement non pertinent, et, bien plus grave, contre-productif.

Par ailleurs le seul argument avancé ici pour supporter cet objectif de diversification comme une fin en soi est la maîtrise et la diminution du risque associé à de possibles défauts génériques majeurs qui occasionneraient l'arrêt simultané de nombreux réacteurs sur le territoire national jusqu'à entraîner une rupture partielle de l'approvisionnement (black-out). Tout d'abord il me semble que cela ne s'est jamais produit. Même au cours de l'épisode d'arrêts préventifs intervenus en 2016, il n'y a pas eu de black-out. Ensuite je ne vois pas en quoi une flotte massive d'éoliennes et de panneaux solaires à la production non pilotable pourrait compenser une telle perte de puissance notamment l'hiver (donc peu de soleil sur 24 heures), et sous régime anticyclonique (pas ou peu de vent sur la France et une bonne partie de l'Europe de l'Ouest). En cela il serait plus sage d'affecter l'ensemble des financements actuellement alloués aux EnR électriques à la rénovation du bâti pour consommer moins, et au développement des EnR thermiques pour assumer le chauffage domestique et collectif. Mais passons.

Le parc nucléaire français actuel est en effet très homogène - peu de technologies et de modèles de réacteurs différents. On pourrait admettre que cela représente un risque pour leur disponibilité simultanée, bien que ce soit d'abord et surtout un avantage en termes de standardisation des pièces pour leur fabrication et leur remplacement, d'optimisation donc de la maintenance et de l'entretien, de facilité des opérations, du suivi, des inspections et du contrôle des installations. Peu de diversité génétique rend potentiellement une population plus vulnérable aux maladies, cela pourrait faire sens, même si encore une fois, de fait, même le défaut générique important identifié en 2016 n'a pas entraîné de rupture d'approvisionnement.

Cependant, pour atteindre l'objectif pointé par la MO de modération de ce risque de défaut généralisé, le développement et l'industrialisation d'autres technologies nucléaires et l'installation de plusieurs nouveaux types de réacteurs sur le territoire national seraient tout aussi adaptés.

Cette solution de diversification permettrait d'une part de ne pas s'exposer à des aléas auxquelles nous ne sommes pour l'instant pas soumis : part importante de production non pilotable, ré-augmentation non maîtrisée des émissions de CO2 induite par la compensation de sources intermittentes, dépendance en des fournisseurs étrangers pour les installations.

D'autre part, cette diversification-là permettrait de pérenniser et renforcer une filière technologique et industrielle dotée d'une combinaison d'avantages objectivement sans équivalent : émissions de GES totales parmi les plus faibles toutes sources d'énergie confondues, pas de pollution de l'air, emprise au sol des installations minimale au regard de la puissance produite, utilisation minimale de matières premières d'équipement par rapport à l'énergie produite sur la durée de vie des installations, matière première énergétique abondante et peu chère, voire pléthorique et même virtuellement inépuisable dans le cas de certaines technologies, filière recyclant la majeure partie de son combustible, et gérant de manière responsable ses déchets ultimes (c'est-à-dire par concentration-séparation plutôt que par dispersion-dilution comme la plupart des autres, EnR comprises), production stable et pilotable à la demande, compétitivité économique, avance technologique de la France (mais à force, ça ne va pas durer), effectifs constitués d'emplois hautement qualifiés, et non délocalisables (ce qui n'est pas le cas pour les équipements utilisant les EnR électriques).

Enfin, cela permettrait de ne pas subir (ou forcer) mais bien d'anticiper et planifier sereinement le remplacement des centrales vieillissantes, à (faible) empreinte carbone, (faible) emprise au sol, indépendances énergétique et technologique, puissance et pilotabilité constantes.

En résumé, si l'on est juste insatisfait du fait que les centrales nucléaires françaises actuelles se ressemblent trop, n'est-il pas possible de remédier à cela sans perdre les avantages acquis en recourant à de nouvelles conceptions et/ou à de nouvelles technologies de réacteurs nucléaires ?

Pourquoi dès lors l'objectif de diversification du mix électrique national n'est-il pas posé en ces termes : réduction de la part des réacteurs nucléaires monotypiques (de technologie, conception et réalisation identiques) ?

Une loi imparfaite ayant vocation à être modifiée, pourquoi a minima ne pas chercher à amender la LTE en ce sens, pour libérer les énergies vertueuses, au sens propre comme au sens figuré, et se concentrer enfin sur l'essentiel à savoir, en France : décarboner les transports et isoler le bâti ; à l'international : promouvoir et propager dans le dialogue multilatéral le sevrage des hydrocarbures par tous les moyens disponibles adaptés aux contextes locaux, la sobriété énergétique, et la parcimonie d'usage des matières premières ?

Date de la réponse:
Réponse de La maîtrise d’ouvrage, le
Réponse:

Votre question, qui s’inscrit dans le prolongement de la question n° 106, pose plus particulièrement la question de l’opportunité de procéder à une diversification de notre parc de production d’électricité par l’introduction de nouvelles technologies nucléaires.

Il est vrai que l’intégration de nouvelles technologies nucléaires pourrait représenter une solution répondant aux deux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de diversification du mix électrique. Parmi les technologies matures en termes de déploiement industriel, la France ne maîtrise toutefois que la technologie des réacteurs à eau pressurisée, utilisée sur l’ensemble du parc existant et qui est par ailleurs la plus répandue dans le monde.

Ainsi, et sauf à envisager le recours à des technologies étrangères, une telle démarche n’écarterait donc pas l’occurrence d’un incident générique de conception semblable à celui rencontré sur le parc nucléaire lors de l’hiver 2016-2017.

Il est donc plus robuste de recourir à des technologies bas carbone radicalement différentes. Le développement des énergies renouvelables répond ainsi à cet objectif de renforcement des marges d'approvisionnement susceptibles de pouvoir pallier les dysfonctionnements du parc nucléaire existant. De plus, la baisse progressive du coût des énergies renouvelables (notamment photovoltaïque) rend ces technologies de plus en plus compétitives, réduisant ainsi l’écart de gain économique avec un parc nucléaire standardisé, et ce d’autant plus que l’optimisation économique de nouveaux réacteurs nucléaires, tels que de futurs EPR, doit encore être recherchée. Enfin, le recours aux énergies renouvelables permet également d’éviter la production de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue qui sont la caractéristique de toutes les technologies nucléaires aujourd’hui en service dans le monde.

Commentaires

J'ai déjà entendu ces arguments quelque part, mais où ?

Bon, quand même :

Il peut y avoir plusieurs types de réacteurs à eau pressurisée. Conceptuellement, parler d'un défaut générique possible pour plein de modèles de réacteurs à eau pressurisée différents, qu'est-ce que cela signifie au juste ? Envisager un défaut soudain des constantes thermodynamiques de l'eau ? Plus sérieusement, n'est-ce pas un peu comme considérer les anticyclones comme un défaut générique, mais alors vraiment générique et incontournable, de toutes les éoliennes d'Europe de l'Ouest (je vous passe l'analogie avec la nuit) ?

On n'a pas encore vraiment cherché à amener d'autres technologies nucléaires françaises jusqu'au stade industriel, ou bien on a interrompu, freiné leur développement, donc on n'a pas encore d'autre technologie nucléaire française disponible sur l'étagère. Oui... effectivement...

"Il est donc plus robuste de recourir à des technologies bas carbone radicalement différentes." Comme cela a été démontré de bien des manières différentes par des contributions diverses sur ce site, cette affirmation est excessivement discutable.

"Le développement des énergies renouvelables"... Littéralement, les réacteurs de génération IV ou un peu plus loin les réacteurs à fusion peuvent être assimilés à des sources d'énergie renouvelable.

Pour l'aspect des coûts, on ne va pas revenir là-dessus, cela a également fait l'objet de bien des interventions et argumentaires. Simplement il est curieux que l'on admette de subventionner massivement et sur une longue durée l'éolien et le photovoltaïque (dont les équipements sont fabriqués à l'étranger) en reconnaissant qu'il s'agit d'une phase nécessaire avant d'atteindre - un jour - la rentabilité pour ces technologies nouvelles ; et que cela ne soit pas envisagé ici au même titre pour de nouvelles technologies nucléaires françaises.

"le recours aux énergies renouvelables permet également d’éviter la production de déchets radioactifs à haute activité et à vie longue qui sont la caractéristique de toutes les technologies nucléaires aujourd’hui en service dans le monde." Oui... d'où l'intérêt de chercher à développer d'autres technologies qui consomment ces déchets, et/ou en produisent encore moins...

On passera sur les ordres de grandeur des volumes de déchets respectifs produits en question.

Mais surtout qu'est-ce qui va éviter dès lors la production massive de déchets industriels sans décroissance et non confinés associés à la fabrication de ces nouveaux équipements EnR ? Est-ce considéré comme étant moins grave parce que ne devant pas être géré chez nous, par nous ?

A nouveau, il s'agit d'une réponse plaidoyer reposant sur un parti-pris, et n'envisageant aucune alternative en dehors de la trajectoire en vigueur.

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