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AVIS
Mieux faire comprendre les enjeux de la LNPN
par Dominique SORET (CAEN), 22/12/2011
On doit tout d’abord souligner le remarquable travail fourni par les équipes du débat public LNPN et de RFF. Mais la lecture des avis émis et les échos que l’on peut avoir sur le projet montrent que celui-ci semble quelque peu dérouter les citoyens. Pour combattre ce doute, il me paraît indispensable de redoubler d’effort pédagogique et explicatif.

1. Un projet déroutant pour le citoyen

Une première série de raisons tient au fait que le débat public sur la ligne nouvelle Paris-Normandie se télescope avec deux autres préoccupations majeures des citoyens.

A l’évidence, l’actualité récente, qui met sur le devant de la scène la question de la dette souveraine des États, et notamment celle de la France, fait mal juger un projet dont on annonce d’emblée qu’il coûtera de 9 à 13 milliards d’euros. Et nombre d’intervenants s’interrogent légitimement sur l’utilité d’un tel projet dont le financement n’est pas assuré. La création d’un atelier spécialisé sur le sujet n’est guère de nature à rassurer, les citoyens ayant appris à se méfier des solutions de type partenariats publics privés ou concessions.

Le deuxième télescopage est celui de la future organisation du ferroviaire en France. Le débat public sur le sujet (‘Les Assises du ferroviaire’) qui vient de se terminer devant donner lieu à des propositions susceptibles de se retrouver dans les thèmes de la campagne présidentielle, les décisions sont suspendues au moins jusqu’à cette échéance. On peut donc bien discuter de tel ou tel scénario et disserter sur les futures dessertes ferroviaires normandes, mais tant que l’on ne connaîtra rien des modes d’exploitation futurs ou le niveau des péages, cela n’aura pas beaucoup de sens.
De plus, pour les citoyens, une des inquiétudes qui se manifeste est la crainte d’une augmentation sensible des tarifs qui pourrait résulter de la mise en œuvre du projet. A l’évidence, on ne peut guère apaiser ces inquiétudes au vu des incertitudes décrites ci-dessus.
La conclusion du cahier d’acteur de la SNCF est éloquente pour illustrer ce point : l’opérateur historique dit clairement qu’il ne se sent nullement engagé par ce qui pourra être décidé dans le cadre du débat public. A ce jour, aucun autre opérateur ferroviaire ne s’est senti intéressé par cette question.

Une seconde série de raisons tient au fait que le projet LNPN est un projet complexe, mettant en jeu de nombreux acteurs avec des problématiques très différentes (les transports en Ile-de-France, les dessertes normandes, le fret), le tout dans un domaine, le ferroviaire, qui a de fortes contraintes techniques.

Ces différentes raisons expliquent scepticisme, méfiance et manque d’enthousiasme des citoyens face au projet LNPN. Le débat public sera réussi s’il permet de montrer qu’il s’agit d’aller bien au-delà du choix entre trois scénarios de ‘ligne nouvelle’. De ce point de vue, le dossier de RFF est, dans sa présentation au public, à la fois trop détaillé et insuffisamment articulé pour permettre aux citoyens de mieux apprécier les grands enjeux du projet.

2. Une remarque préalable : le ‘TGV’ normand ne sera pas un TGV !

Un premier point qu’il conviendrait de mieux souligner est que le projet LNPN ne consiste pas à construire encore une nouvelle ligne à grande vitesse (LGV).

Depuis trente ans, les Français sont ‘dopés’ à la grande vitesse ‘à la française’ : rouler en train à 300 km/h sur une infrastructure ferroviaire totalement nouvelle et avec un matériel performant. Or, pour beaucoup de citoyens, le projet LNPN est compris comme un projet de ligne à grande vitesse qui coûtera des milliards d’euros pour faire gagner quelques minutes à un nombre relativement modeste de voyageurs sur des trajets de 100 à 200 km.

Certes, le dossier de RFF ne présente pas le projet comme une LGV classique, mais les fausses idées ayant la vie dure, le porteur du projet devrait marteler cette vérité et ne laisser aucun doute sur ses intentions dans ce domaine, même si cela doit décevoir les Normands ! En particulier, RFF devrait acter sans ambiguïté que les infrastructures existantes seront aménagées pour une vitesse maximale de 200 km/h et que sur les nouvelles infrastructures, la vitesse sera de l’ordre de 250/260 km/h au maximum.

Par ailleurs, il faut dire aux citoyens français que dans d’autres pays européens, il existe du matériel performant apte à circuler à 250 km/h et que de toutes façons, les constructeurs (français ou autres) fabriqueront le matériel qui leur sera demandé.

3. La hiérarchie des travaux à réaliser doit être mieux mise en valeur.

Parce que le projet LNPN est un projet complexe, ses priorités doivent être mieux mises en valeur. Du point de vue normand, les priorités sont au nombre de trois :

1ère priorité : réaliser une infrastructure entièrement ou partiellement nouvelle entre Paris et Mantes, afin d’accélérer, mais surtout de fiabiliser, les liaisons ferroviaires normandes vers Paris, sachant que Paris c’est, en plus de la gare Saint-Lazare, le pôle de la Défense et les plateformes aéroportuaires d’Orly, et surtout de Roissy.

Cette réalisation conditionne toute la suite du projet. Elle doit être engagée sans délai.

Les temps de parcours annoncés (Paris/Le Havre et Paris/Caen en 1h15 minutes), lancés un peu comme des engagements politiques, ont été retenus comme guides pour les études, mais ne devraient en aucun cas être considérés comme des objectifs intangibles, quels qu’en soient les coûts.

2ème priorité : réaliser l’itinéraire fret entre Le Havre et la région parisienne par Serqueux et Gisors

3ème priorité : réaliser les infrastructures totalement ou partiellement nouvelles sur le territoire normand. Ces infrastructures doivent être celles nécessaires et suffisantes pour :

- atteindre les objectifs de temps de parcours vers Paris, dans des conditions raisonnables de coûts,
- améliorer les temps de parcours en train entre les trois grandes villes normandes, Caen, Rouen et Le Havre, l’objectif étant d’être plus rapide que les liaisons autoroutières existantes,
- améliorer les liaisons TER de type domicile/travail et domicile/études (augmentation des dessertes et réduction temps de parcours),
- permettre de mieux relier les territoires normands au réseau à grande vitesse, notamment vers le nord (Amiens / Lille / Londres / Bruxelles), vers le sud-est (Lyon / Marseille) et vers le sud-ouest (Tours / Bordeaux / Toulouse / Espagne).

4. Le chiffrage des coûts du projet doit être beaucoup plus détaillé

Dans le document de synthèse, le coût du projet a été chiffré d’un point de vue global pour chaque scénario. Il conviendrait tout d’abord de distinguer le coût des travaux d’infrastructure proprement dite (voie nouvelle ou réaménagée, ouvrages d’art, alimentation électrique et signalisation, y compris raccordements au réseau existant), le coût de certains points singuliers et le coût des gares nouvelles.

Les travaux d’infrastructure devrait distinguer, pour chaque scénario, au moins les parties suivantes :
1. De Mantes au Y
2. Du Y au débranchement vers Rouen/Le Havre
3. Du Y vers Caen
4. Le réaménagement de l’itinéraire fret

Les points singuliers qui devraient faire l’objet d’un chiffrage séparé sont les suivants :
1. le tunnel sous la Seine à Rouen (scénario A et B)
2. le tunnel sous la Seine dans l’estuaire (scénario C) : l’écart de coût avec les deux autres scénarios est-il justifié seulement par le passage en tunnel sous l’estuaire ?

4. La problématique des gares nouvelles en Normandie

Remarque préalable : du fait de l’incertitude sur la future organisation ferroviaire en France, on ne sait pas qui sera propriétaire des gares nouvelles à l’échéance du projet, ni comment et par qui elles seront exploitées.

Le projet prévoit deux ou trois gares nouvelles en Normandie : Louviers/Val de Reuil et Rouen dans les trois scénarios, Evreux, en plus des deux précédentes, dans le scénario B.

Le coût de ces gares nouvelles doit apparaître en clair pour chaque scénario.

On peut s’interroger sur la pertinence de ces gares nouvelles. Aujourd’hui, la gare est conçue comme un endroit d’échange multimodal : trains rapides, TER, autobus, tram et métros. Faire une gare nouvelle sur une ligne nouvelle n’a donc pas grand sens si c’est simplement pour n’en faire qu’un endroit où s’arrêtent les trains rapides. Dans ces conditions, on ne voit pas bien ce qu’apportent les gares nouvelles d’Evreux et de Louviers/ Val de Reuil. Au surplus, est-il raisonnable de construire une gare nouvelle à Louviers/ Val de Reuil qui se trouve à une vingtaine de kilomètres d’Evreux et à autant de Rouen ? S’il fallait néanmoins faire une gare nouvelle dans l’Eure, elle devrait être à mi-chemin d’Evreux et de Louviers/ Val de Reuil.

La nouvelle gare de Rouen pose un problème spécifique, puisqu’il s’agit d’y basculer la quasi-totalité du trafic assuré par la gare actuelle rive droite. Deux sites étaient en concurrence : Saint Sever (commune de Rouen) et Sotteville. Si la nouvelle gare est située sur le site de Saint Sever, elle s’accompagnera d’une grande opération d’urbanisme qui profitera exclusivement à la ville et à son agglomération. Mais le choix de cet emplacement suppose, dans les scénarios A & B, la réalisation d’un tunnel sous la Seine pour rejoindre la ligne (nouvelle ou existante) vers Le Havre.

Bien que le dossier montre les deux sites, la décision semble avoir été prise en faveur de Saint Sever.

Questions à RFF :

- RFF fait-elle siennes les prévisions de trafic ferroviaire qui justifieraient l’abandon de la gare de Rouen rive droite ?
- Quelles sont, pour RFF et d’un point de vue ‘purement ferroviaire’ les avantages et les inconvénients de ces deux sites ? RFF a-t-il une préférence ?
- Quel est l’avis de RFF sur le tunnel sous la Seine et la remontée vers le plateau de Caux ? Quels sont les coûts ?

En tout état de cause, les gares nouvelles n’ont pas à être incluses dans le coût du projet. Celles qui seront maintenues devraient être financées dans des conditions équivalentes à celles ayant financé les gares nouvelles les plus récentes.

5. Sur le financement

A ce stade, on ne peut émettre que quelques principes très généraux. Mais il est clair qu’il faut aborder cette question dès maintenant, et en toute transparence, car ne pas le faire contribue à renforcer le pessimisme sur le projet.

a) Afin de ‘relativiser’ le coût global du projet, il est nécessaire d’avoir un phasage assez précis des travaux à réaliser et des dépenses à engager afin de voir, sur la période de réalisation, les montants annuels à financer.

b) Du point de vue normand, il me paraît que le financement de la partie Paris-Mantes du projet ne doit en aucune façon être à la charge des contribuables normands. De nombreuses raisons militent pour cela, notamment parce que, lorsque le Président de la SNCF est venu en Normandie, il a dit que ‘la SNCF avait une dette vis-à-vis de la Normandie’. Le moment est venu pour le système ferroviaire français de s’acquitter de cette dette.

c) Sans exclure a priori les montages de type PPP ou concessions, il convient de ne pas en faire non plus le seul et unique levier. En particulier, la région normande devra mettre au point des mécanismes d’emprunt à souscrire par les habitants de la région. Les banques et organismes financiers régionaux devront être sollicités pour mettre au point les formules adéquates.



Pour conclure :

- sur la question des scénarios en débat, le scénario C me paraît le plus séduisant parce qu’il permet une plus grande flexibilité des dessertes (notamment Paris/Le Havre direct, Caen/Le Havre direct) et ouvre un nouvel axe ferroviaire pour le fret (Le Havre vers le sud-ouest). Cependant la différence de coût très élevée par rapport aux autres scénarios amène à poser les questions suivantes :

- le tunnel sous l’estuaire exclut-il tout passage sous la Seine à Rouen ?

- d’où vient l’essentiel de la différence de coût du scénario C par rapport aux autres?

- par ailleurs, en raison de la complexité du projet, des intérêts potentiellement contradictoires entre Paris et la région normande, des incertitudes sur l’exploitation future, il serait souhaitable de créer, dès maintenant, une structure de pilotage du projet ayant vocation ultérieurement à assurer l’exploitation des dessertes normandes. Il n’est pas interdit de suggérer qu’une telle structure soit majoritairement détenue par la SNCF.